Immigration : le point sur la politique européenne avec Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS

[ad_1]
Catherine Withol de Wenden, directrice de recherche CNRS au CERI (Centre d’Etudes et de Recherches Internationales), docteur en science politique et spécialiste des migrations internationales – Copyright : Didier Goupy

L’Union européenne joue un rôle clé dans la mise en œuvre de la politique migratoire mais les vingt-huit Etats membres peinent à s’accorder en la matière depuis la crise migratoire de 2015. Parmi les nombreuses initiatives européennes sur la table figure l’amélioration du régime commun de l’asile. Et notamment la réforme du règlement de Dublin — qui implique depuis les années 1990 que toute demande d’asile soit traitée dans le pays d’entrée dans l’UE du demandeur – pour soulager les Etats soumis à une pression migratoire trop importante. Le 23 septembre, un accord de répartition automatique des migrants débarquant à Malte ou en Italie a été trouvé. Il doit encore obtenir l’aval du Conseil de l’UE « Justice et Affaires extérieures » qui doit se réunir le 8 octobre à Bruxelles.

En septembre, 4 pays européens se sont entendus sur les grands principes d’une répartition automatique des migrants. Est-ce le début d’une réponse européenne sur le sujet ?

On pourrait l’espérer. En trouvant un terrain d’entente sur une base de répartition des migrants secourus en Méditerranée centrale, les pays réunis à Malte (Allemagne, France, Malte et Italie), au lieu de faire l’autruche – et de se renvoyer la balle pour savoir quel pays va ouvrir son port pour les nouveaux arrivants – reconnaissent ainsi qu’avoir une politique uniquement sécuritaire en Europe ne fonctionne pas. Compte tenu de la mobilité dans laquelle le monde est entré, l’idée que l’on va contrôler tous les flux avec des instruments comme Frontex et en signant des accords bilatéraux avec des pays voisins comme la Libye n’a pas de sens aujourd’hui. Cet accord est donc plutôt une bonne étape. Mais plusieurs questions se posent. Comment sera-t-il respecté ? Est-ce qu’il y aura une répartition équitable entre les pays concernés ?

Dans le même temps, nous avons eu des éléments contraires. En France, le président de la République a évoqué une politique d’asile plus sévère avec une remise en question de l’aide médicale d’Etat des primo-arrivants en situation irrégulière. Nous sommes donc face à une sorte de balancement permanent entre des signaux positifs et des signaux négatifs.

Plusieurs pays souhaitent aujourd’hui réformer le règlement européen de Dublin. Pourquoi  ?

La convention de Dublin établit des règles afin de déterminer quel Etat de l’Union européenne est responsable de l’examen d’une demande d’asile. Mais elle est aujourd’hui totalement remise en cause. Plusieurs pays du Sud, qui ont été les plus concernés par les arrivées récentes de demandeurs d’asile et de migrants, doivent automatiquement traiter ces personnes dans leur propre pays. Ce sont souvent les pays les plus pauvres d’Europe. Notamment des tout petits comme Malte ou Chypre mais aussi des pays en crise, comme la Grèce.

La plupart des migrants ne veulent pas rester là parce qu’ils ne connaissent pas le pays et n’ont pas de réseau migratoire avec des compatriotes déjà installés. Ils n’ont donc pas d’espoir pour s’insérer sur le marché du travail, encore moins pour avoir un jour le statut de réfugié. Les obliger à rester dans un pays qu’ils n’ont pas choisi ruine leur insertion future.

En novembre 2019, cela fera plus de quatre ans que les contrôles sont autorisés aux frontières de six États au sein de l’espace Schengen. Faut-il réviser le code frontières Schengen ?

Depuis 2011, nous avons eu tendance à allonger la fermeture des frontières d’un pays européen à l’autre à cause de l’arrivée des réfugiés et des migrants, à la suite notamment des révolutions arabes. Nous avons prolongé cette fermeture en 2015 avec la crise des réfugiés et avec la poursuite des arrivées contrôlées. L’idée de modifier ce « code frontières » est une bonne idée car nous sommes dans un système complètement discrétionnaire entre les citoyens européens et non européens.

Si on décide d’allonger la durée de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, cela signifie que l’on renie tout l’acquis de Schengen. Si chacun commence à « se frontiariser », nous allons revenir à la période antérieure [à la construction européenne] où chacun contrôlait sa frontière, ce qui est le rêve des partis d’extrême droite. Il ne faut ni renier, ni rogner Schengen. C’est un acquis essentiel, nous sommes le seul espace de libre circulation avec une citoyenneté européenne définie essentiellement par rapport à la liberté de circulation, d’installation et de travail sans frontière, dans le monde. Ce serait tout à fait dommage d’allonger ce code frontière, sous prétexte de « sécuritariser » les frontières.

Depuis l’accord d’Amsterdam de 1997, l’UE peut définir (avec l’accord du Parlement et des États membres) les conditions d’entrée et de séjour en Europe des immigrants légaux, conformément par exemple à la directive « Retour » de 2008.

En parallèle, la refonte de la directive « retour » constitue un enjeu majeur pour la France, dans la mesure où elle vise à rehausser l’efficacité des procédures de retour dans tous les États membres, par une harmonisation plus poussée des normes applicables (notamment en matière de rétention ou de délais de recours). Dans ce cadre, la France plaide pour un régime obligatoire de procédure à la frontière. Est-ce que l’on peut avoir une politique de retour commune ?

En principe les modalités du retour appartiennent à chaque Etat européen, c’est le principe de la subsidiarité. Les politiques de retour sont souvent gérées par accords bilatéraux avec les pays d’origine et donc chaque pays européen est libre de définir lui-même en toute souveraineté un accord bilatéral avec un autre pays.

Les politiques de retour ne donnent pas beaucoup de résultats. Les situations peuvent être très différentes. Cela peut concerner des personnes qui repartent dans le cadre d’un retour volontaire accompagné d’une « aide au développement », ou d’un retour forcé pour des personnes qui ont été reconduites à la suite d’un séjour irrégulier dans le pays d’accueil, ou encore des expulsions du territoire pour des personnes qui ont commis des délits.  La difficulté, c’est que les pays de départ sont souvent très réticents à reconnaître que certains sont leurs nationaux quand il s’agit de sans-papiers car ils se sont engagés à contrôler leurs frontières pour les empêcher de migrer. Le retour ne peut être qu’une toute petite mesure, ce n’est pas l’essentiel de la gestion des politiques migratoires. 

En avril, l’Union européenne a décidé de doter l’agence Frontex d’un corps permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes à l’horizon 2027. La nouvelle présidente de la Commission européenne souhaite atteindre ce nombre dès 2024.  Qu’en pensez-vous ?

Alors que Frontex se renforce, il y a plus de morts : Frontex n’est pas dissuasif en réalité. Quand il y a des crises très importantes, les gens partent quand même de leur pays. Il faut faire le bilan du coût du sécuritaire depuis la création de Frontex par rapport à son efficacité. Selon moi, c’est un système couteux pour une efficacité limitée.

Entraînement des garde-côtes Frontex issus de 19 pays européens lors de l’opération Coastex en juin 2019 – Crédits : Frontex

[ad_2]

https://www.touteleurope.eu/actualite/immigration-le-point-sur-la-politique-europeenne-avec-catherine-de-wenden-directrice-de-recherche.html