Etat de droit : la Commission européenne publie son premier rapport

Noémie Galland-Beaune

La Commission européenne a présenté, mercredi 30 septembre, son premier rapport annuel évaluant le respect de l’état de droit dans les Etats membres. « L’état de droit contribue à protéger les citoyens du règne de la loi du plus fort. Il est le garant de nos droits et libertés les plus élémentaires, au jour le jour« , avait indiqué la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors de son discours sur l’état de l’Union, le 16 septembre dernier. Les ministres européens des Affaires étrangères seront invités à débattre autour de ce rapport en novembre prochain.

L’état de droit est l’une des valeurs fondatrices de l’Union européenne, inscrit à l’article 2 du traité sur l’Union européenne avec la dignité humaine, la liberté, la démocratie et le respect des droits de l’Homme et des minorités. Dans son premier rapport sur l’état de droit, il est défini comme le principe qui « garantit que toutes les autorités publiques agissent toujours dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs de la démocratie et des droits fondamentaux, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales ».
Il regroupe les principes de légalité, c’est-à-dire l’existence de lois transparentes et démocratiques, de sécurité juridique, l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, le contrôle juridictionnel et la séparation des pouvoirs devant la loi.

Lors de la présentation de ses orientations politiques en 2019, la présidente de la Commission européenne avait fait de la défense de l’état de droit l’un des principaux objectifs de son mandat. Ursula von der Leyen avait ainsi annoncé la mise en place « d’un nouveau mécanisme européen complet de protection de l’état de droit, applicable dans l’ensemble de l’UE, avec l’établissement de rapports annuels objectifs par la Commission ». Après avoir notamment consulté les Etats membres et reçu leur contribution, la Commission a publié son premier rapport annuel sur l’état de droit le 30 septembre dernier. Celui-ci analyse l’évolution du respect de l’état de droit dans les Etats membres à la lumière de quatre critères : le système judiciaire, les mécanismes de lutte contre la corruption, l’équilibre des pouvoirs dans les institutions et la liberté de la presse et le pluralisme.

Prévenir les atteintes à l’état de droit

Avec ce nouveau mécanisme, la Commission européenne souhaite se doter d’un « nouvel outil de prévention », c’est-à-dire d’un cadre commun sur la base duquel juger des évolutions de l’état de droit dans les pays européens de façon objective. Ce mécanisme vient compléter la panoplie d’instruments dont dispose déjà l’UE en faveur du respect l’état de droit, comme la procédure de sanctions relevant de l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’UE. Malgré cela, des menaces pèsent encore sur son maintien. Les atteintes constatées dans certains pays européens ont remis à l’ordre du jour la nécessité de le défendre.

Violation des valeurs de l’UE : comment fonctionne la procédure de sanctions (article 7) ?

En établissant ainsi des critères pour définir plus précisément l’état de droit, la Commission européenne vise une « meilleure compréhension » de ses principes au sein de l’UE. Elle souhaite également « recenser les défis à relever » par les Etats membres. La comparaison annuelle des pays en se basant sur des critères objectifs doit rendre plus lisible la lecture des développements au sein des systèmes démocratiques européens.

Avec ce rapport, la Commission prévoit aussi d’engager un débat dans les 27 Etats membres. Elle met ainsi l’accent sur les réformes et bonnes pratiques pour inciter tous les pays européens à suivre l’exemple des bons élèves. Ce document est également publié alors qu’un dispositif conditionnant le versement de fonds européens au respect de l’état de droit doit désormais faire l’objet de pourparlers avec le Parlement européen pour être intégré au budget pluriannuel 2021-2027, toujours en cours de négociations entre les États, les députés européens et la Commission européenne.

La Hongrie, la Pologne et la Bulgarie parmi les mauvais élèves

Parmi les 27, trois Etats membres se distinguent par les nombreuses préoccupations soulevées à leur égard : la Pologne, la Hongrie et la Bulgarie. Leurs situations suscitent « de sérieuses préoccupations » dans la plupart des critères mis en avant par la Commission. Elle s’alarme notamment des « graves difficultés » rencontrées par les ONG dans ces trois pays.

Le rapport pointe également les problèmes relatifs à l’efficacité des enquêtes, poursuites et jugements sur les affaires de corruption, dans six pays dont la Bulgarie et la Hongrie. La corruption reste une préoccupation majeure pour les Européens. Selon un Eurobaromètre spécial publié en juin 2020, 71% des Européens estiment que la corruption est répandue dans leur pays et 42 % pensent qu’elle a augmenté ces dernières années. Pourtant, seuls dix pays, dont la France, ont mis en place des stratégies nationales de lutte contre la corruption.

Par ailleurs, le rapport souligne les menaces qui pèsent sur les médias en Hongrie, en Pologne et en Bulgarie, en raison d’un haut niveau d’ingérence politique. Malte, où la journaliste Daphne Caruana Galizia avait été assassinée en octobre 2017, fait aussi l’objet de préoccupations sur cette question. Les menaces et attaques physiques à l’encontre des journalistes en Bulgarie et Hongrie, ainsi qu’en Croatie, en Slovénie et en Espagne sont épinglées.

Enfin, la Pologne, la Hongrie et la Bulgarie sont pointées du doigt concernant les atteintes en matière d’indépendance de la justice. Pour les deux premiers pays, l’inquiétude n’est pas nouvelle. Les réformes engagées par les gouvernements polonais avaient déjà éveillé l’inquiétude des institutions européennes. En Bulgarie, le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature et celui de l’inspection du Conseil supérieur de la magistrature sont remis en question. Des reproches similaires sur l’indépendance de la justice sont adressés à la Roumanie, la Croatie et la Slovaquie.

Quelle suite pour ce rapport ?

Avec ce nouveau rapport annuel, la Commission européenne souhaite engager le « dialogue permanent avec les États membres, le Parlement européen et les parlements nationaux ainsi qu’avec d’autres parties prenantes aux niveaux national et européen ». Les ministres européens des Affaires étrangères seront invités à en débattre dès le moins de novembre. La première session concernera la Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, le Danemark et l’Estonie.

Cependant, « ce rapport ne va pas suffisamment loin pour montrer que la Commission est prête à mettre fin à la destruction systémique des valeurs européennes par Viktor Orbán« , regrette Gwendoline Delbos-Corfield, députée européenne, membre de la commission des affaires constitutionnelles. « Mme la présidente von der Leyen a exprimé, en avril, ses inquiétudes sur la situation en Hongrie, mais aucune action déterminante et concrète n’a été prise alors que, depuis dix ans, les reculs sur l’État de droit, la liberté de la presse et les droits fondamentaux sont immenses en Hongrie« . « Il n’y a pas de baguette magique pour restaurer l’État de droit, mais il y a un certain nombre d’instruments complémentaires qui ne demandent qu’à être pleinement utilisés. Tant le Conseil que la Commission doivent avoir le courage politique de le faire« , poursuit-elle.

Le mécanisme vient s’ajouter aux instruments déjà existants et n’ouvre pas la porte à des poursuites concrètes. La Commission européenne rappelle d’ailleurs que ce rapport est un « outil de prévention » visant à un examen de la situation de chaque pays et non un « mécanisme de sanction » comme la procédure prévue à l’article 7 ou bien les procédures d’infractions prononcées par la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière avait ainsi suspendu les procédures disciplinaires à l’égard des juges polonais.

La Pologne et la Hongrie, déjà épinglés pour le non-respect de l’état de droit, sont à nouveau mis en avant dans le rapport de la Commission européenne. Ces derniers ont déjà fait l’objet d’une procédure prévue à l’article 7 pour la violation de l’indépendance de la justice, respectivement en 2017 et 2018. Les gouvernements des deux pays ont été auditionnés par le Conseil en juin et décembre 2018 pour la Pologne et en septembre et décembre 2019 pour la Hongrie. Aucune position n’a toutefois été adoptée. La procédure prévoit des sanctions telles que la suppression des droits de vote du pays visé, mais demande l’unanimité des Etats membres. Face à la lenteur de la procédure, la conditionnalité des financements européens au respect de l’état de droit est actuellement envisagée et débattue par les députés européens pour faire respecter les valeurs fondamentales de l’Union européenne.

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