Mars 2020, la relation Turquie / Europe sur la crise migratoire est toujours aussi difficile

Article co-rédigé par des étudiants du cours CITOYEN, Droit et Politiques de l’Europe – ESSEC de Viviane de Beaufort : Ariane Badet – Matteo Baron – Apolline Boulaire – Roxane Raffi Khansari – Chloé Morlaàs

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Le 26 mars 2020, les dirigeants de l’UE ont reçu le président turc, Recep Tayyip Erdoğan à Varna (Bulgarie( au pour évoquer la relation UE/Turquie et notamment la coopération sur la question migratoire. L’UE a réaffirmé sa gratitude envers la Turquie et sa volonté d’accroître les aides pour améliorer la situation des réfugiés syriens mais sans avancé concrète.

La crise migratoire engendrée par la guerre en Syrie a fait de la Turquie un partenaire stratégique avec lequel l’UE doit négocier. En ouvrant ses frontière fin février, la Turquie a remis l’épineuse question migratoire sur la table des négociations.  

Le 9 mars, l’UE en la personne de, Charles Michel, président du Conseil Européen et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne avait rencontré le président turc à Bruxelles dans un contexte de crise migratoire à la frontière turco-grecque afin de « travailler à la mise en œuvre intégrale de la déclaration UE-Turquie sur les migrations afin d’apaiser la situation. » Même si Ursula von der Leyen y voit « un engagement constructif », discussions patinent. L’UE a reconnu que ses engagements n’avaient pas été totalement respecté, en effet 1,5 milliards d’euros n’ont pas encore été versé aux organisations qui s’occupent d’éducation, d’intégration ou de santé. 

Contexte : retour sur la déclaration UE-Turquie du 18 Mars 2016

Selon l’accord de 2016, signé il y a 4 ans, la Turquie s’engage à contrôler l’afflux de migrants vers l’Europe dans un contexte de crise migratoire agitant l’Europe depuis 2015. La Turquie, zone de transit de nombreux migrants syriens vers l’Europe s’engage à prendre « toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière – maritimes ou terrestres – ne s’ouvrent au départ de son territoire en direction de l’UE. ». En contrepartie, les pays européens doivent verser à la 6 milliards d’euros et s’engagent aussi à la reprise des négociations concernant son adhésion à l’UE, et à la libéralisation des visas pour ses ressortissants turcs.

Avec ce traité, l’UE et la Turquie s’engagent ainsi à renforcer les mesures contre les passeurs, pour démanteler leur système économique. Il est prévu selon la déclaration que pour chaque migrant arrivé en Grèce renvoyé en Turquie, l’UE doit accueillir un syrien resté dans les camps de réfugié en Turquie via le corridor humanitaire, ce mécanisme est appelé « syrien contre syrien ». Le nombre de syriens accueillis en Europe a été plafonné à 72 000 personnes, car des pays européens, la Hongrie en tête, ont refusé d’en accueillir . 

Mais le 28 février 2020, le président Erdoğan, en annonçant que la Turquie ne contrôlera plus l’afflux de migrant rompt volontairement cet accord. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a constaté l’arrivé de 1200 migrants sur les îles de l’est de la mer Egée, chiffre supérieur aux statistiques quotidiennes constatés ces derniers mois. 

Les principales causes d’échec de cette déclaration

A partir du 18 Mars 2016, l’accord semble avoir été appliqué : en témoignent la forte baisse du  nombre de réfugiés traversant la frontière vers l’UE . Avant l’accord, 3 500 réfugiés tentaient chaque jour de traverser la Mer Egée pour une quarantaine après sa mise en œuvre. Quatre ans après, les chiffres sont toujours éloquents : 860 000 réfugiés en Grèce en 2015, 11 000 en 2019! L’effet de cet accord sur la baisse des arrivées de migrants sur le territoire de l’UE doit être nuancé car les politiques anti-migrants des pays des Balkans ont également joué un rôle dissuasif.

Pourtant, le 28 Février 2020, le président turc Erdoğan annonce l’ouverture de la frontière avec la Grèce, faisant pression sur les pays européens. La Turquie juge insuffisante l’aide financière européenne octroyée pour la prise en charge des migrants, surtout syriens. Sur les 6 milliards d’euros de financements prévus par le traité, 4,7 milliards auraient été débloqués dont 3,2 milliards déjà décaissés. Mais le déblocage des fonds ne signifie pas le paiement, et les Turcs critiquent le mode opératoire de l’UE, jugé inefficace. De plus la majorité des fonds ont été versés à des ONG alors que l’Etat turc réclame que les fonds lui soient versés directement. Selon ses dires, La Turquie aurait déjà dépensé 22 milliards d’euros pour cette question migratoire, dont 13 milliards venant directement de l’Etat. Face à cette bataille de chiffres, il est difficile de trouver une source fiable, mais comme le mentionne Didier Billon, directeur adjoint de l’Institut de Relations Internationales (IRIS), « il est probable que la Turquie ait dépensé bien plus pour les réfugiés que les 6 milliards reçus de l’Union européenne ». Le mécanisme « syrien contre syrien » prévu par le traité n’aurait pas été appliqué par l’UE : cette dernière aurait accueilli 21 163 réfugiés syriens à l’été 2019 – sur le plafond établi à 72 000 personnes – alors que 1 843 personnes entrées en Grèce de manière irrégulière auraient été renvoyées en Turquie.

C’est suite à la mort de 33 soldats turcs dans une attaque à Idlib en Syrie, qu’Erdoğan a décidé l’ouverture des frontières. Cette bataille a en effet engendré des pertes humaines pour l’armée turque : 53 soldats en février, ainsi qu’un afflux significatif de réfugiés. Erdoğan pointe donc du doigt le manque de solidarité européenne dans la lutte contre le régime de Damas. Et la question migratoire est utilisée comme un levier géopolitique. Lundi 2 mars, Erdoğan a déclaré “ Maintenant, vous allez prendre votre part du fardeau ”  mettant à exécution sa menace d’octobre  “Si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et enverrons 3,6 millions de migrants”.

Le non-respect de l’accord, une trahison des valeurs européennes?

Le non-respect de cet accord semble révéler plus profondément la difficulté d’application de principes fondateurs de l’Europe que sont la préservation de la paix, la sécurité, l’aide humanitaire et au développement. Ces principes centraux de la politique extérieure européenne sont inscrits dans la stratégie de la PESC (Principes de Petersberg- 1992). Dans une tribune du “Monde”, 60 intellectuels européens, ont réclamé que soit accordée une protection temporaire aux migrants massés dans les zones tampons à la frontière Gréco-Turcque. Les événements récents font émerger de nombreux enjeux quant à la refonte de l’accord migratoire et rappellent la dépendance de l’Europe envers Ankara sur cette question brûlante des migrants. Cependant même si l’Europe est aujourd’hui mise sous pression par la Turquie, celle-ci n’a pour autant pas intérêt à s’isoler de l’UE, puisqu’elle maintient l’objectif d’intégrer l’UE et que celle-ci constitue pour elle un partenaire stratégique de premier plan.