Comment le Parlement européen prend-il ses décisions ?


Synthèse


05.07.2019

Moins médiatisé que la Commission ou le Conseil européen, le Parlement européen est également un maillon indispensable dans l’élaboration des textes de loi européens. Même si ses pouvoirs restent limités dans certains domaines.

Voici comment, la plupart du temps, le Parlement européen participe aux décisions européennes.

La proposition législative

Tout débute par une proposition législative que la Commission européenne présente au Parlement européen. La Commission européenne possède le monopole de l’initiative législative, bien que l’impulsion politique provienne généralement d’une concertation en amont, à laquelle participent notamment les Etats membres.

Régulièrement, c’est le Parlement européen lui-même qui invite la Commission à élaborer une proposition sur un sujet particulier. Il le fait au moyen d’un rapport d’initiative législative, voté par la majorité des députés. La Commission européenne est alors libre de suivre ou non la proposition du Parlement, mais s’engage à présenter « une proposition législative dans un délai d’un an » ou à inscrire « cette proposition dans son programme de travail de l’année suivante ». Elle doit sinon « en expose[r] les motifs circonstanciés au Parlement »  (Accord-cadre sur les relations entre le Parlement européen et la Commission européenne).

D’après une étude menée par le service de recherche du Parlement européen (EPRS) sur la période allant de mi-2014 à fin 2015, la plupart des rapports d’initiative du Parlement ont été non seulement suivis de réponses, mais également d’actions (législatives ou non) de la Commission européenne : c’est le cas de 92 des 97 propositions étudiées dans cette étude.

Le travail du rapporteur et des commissions parlementaires

La proposition de la Commission européenne parvient ensuite sur la table du Parlement européen. Celui-ci désigne alors un ou plusieurs députés chargés d’élaborer la position de l’institution sur ce texte : les rapporteurs.

La Commission européenne pourrait, par exemple, proposer une législation sur la réduction des émissions de polluants dans l’air. Un cas d’école sur lequel l’Union européenne a déjà pris des mesures, mais qui pourrait faire éventuellement l’objet d’une réforme, afin de réduire à nouveau les plafonds autorisés.

Au Parlement européen, le rapporteur est alors choisi au sein de la commission « environnement, santé publique et sécurité alimentaire », l’une des 23 commissions permanentes du Parlement européen. Le choix du ou des députés dépend d’accords entre les groupes politiques, d’un système de points permettant de répartir les rapports législatifs entre ces groupes, et bien sûr de l’intérêt personnel du député pour ce texte ! Pour plus d’efficacité, on préfèrera dans la plupart des cas la pertinence du profil du rapporteur plutôt qu’une logique proportionnelle.

Le rapporteur fait alors un travail de fond sur le texte, essayant de parvenir à un compromis auprès des « shadow rapporteurs ». Ce sont des députés européens des autres groupes politiques membres de la même commission parlementaire, également chargés de suivre le sujet. Il est donc important qu’un accord soit trouvé avec eux pour faciliter le vote final par l’ensemble des députés européens.

Pendant cette phase de négociation, le rapporteur et les députés membres de la commission parlementaire pourront également consulter des acteurs extérieurs à l’institution, des groupes d’intérêts ou des experts afin de se forger leur propre opinion.

Amendements et vote du texte

Le travail des membres de la commission parlementaire est d’amender le texte proposé par la Commission, c’est-à-dire de lui apporter des modifications. Le rapporteur doit, lui, préparer des amendements de compromis, qui seront prioritaires dans la liste de vote par rapport aux autres.

Une fois que le texte est adopté par la commission parlementaire, le rapport est présenté et voté par l’ensemble des députés européens lors d’une session plénière du Parlement, généralement à Strasbourg. C’est la première lecture.

A ce stade, les groupes politiques ainsi que des groupes d’au moins 40 députés peuvent alors proposer des amendements additionnels au rapport. Sauf si moins de 10% des députés ont voté contre en commission parlementaire, auquel cas le texte peut être voté sans amendement additionnel ni débat lors de la plénière. Une particularité qui pourrait expliquer la tendance de certains médias à affirmer par erreur que le Parlement européen aurait « voté un texte », alors que celui-ci a seulement été voté en commission et doit encore être adopté en plénière.

Par exemple, le texte sur la réduction des émissions polluantes porte entre autres sur l’engagement des Etats d’ici 2030. En commission parlementaire, le rapporteur propose en amendement de compromis de fixer des objectifs intermédiaires en 2025. Mais certains députés s’y opposent, et souhaitent quant à eux ajouter une phrase permettant de limiter le respect des objectifs pour 2030 en cas de difficultés économiques du pays. Un dernier député souhaite quant à lui des objectifs intermédiaires pour 2020 et 2025. Dans ce cas on vote l’amendement A de compromis. S’il est adopté, alors les autres amendements « tombent », c’est-à-dire qu’on ne les votera pas. S’il n’est pas adopté, alors on passe à l’amendement B, qui est le plus proche dans l’idée de l’amendement de compromis. S’il est accepté, l’amendement b tombe, sinon, on passe à l’amendement C. Et ainsi de suite…

Lors de la session plénière, tous les amendements proposés par les députés et le rapporteur sont votés. Si la position est adoptée par une majorité simple, elle est envoyée au Conseil. Si elle n’est pas adoptée (cas très rare), le Parlement peut demander à la Commission européenne de retirer sa proposition. Si celle-ci refuse, la proposition retourne à la commission parlementaire pour un nouvel examen.

Vote Parlement européen

Le dialogue avec le Conseil

Une fois le texte voté et amendé par le Parlement, c’est donc au tour du Conseil de l’UE de se prononcer. Le Conseil exprime sa position une fois que le Parlement a publié la sienne, mais en pratique il travaille en même temps que le Parlement européen sur le texte. Lorsque la position du Parlement lui est transmise, quatre cas de figures peuvent se présenter :

  • Si le Parlement européen et le Conseil n’amendent pas le texte de la Commission, le texte est adopté.
  • Si le Parlement amende le texte et que le Conseil accepte tous les amendements, le texte est adopté.
  • Si le Conseil n’approuve pas la position du Parlement européen (qu’il ait ou non amendé la proposition de la Commission), il adopte une position commune qui est renvoyée au Parlement européen pour une deuxième lecture.
  • Le Conseil ne parvient pas à s’entendre sur un compromis : dans ce cas la procédure est bloquée jusqu’à ce que les Etats membres trouvent un accord, au moyen de plusieurs réunions si nécessaire. En pratique, un certain nombre de textes ne franchissent pas cette étape, le Conseil n’ayant pas de délai pour se prononcer. Sans être officiellement rejeté, le texte de loi ne voit alors jamais le jour…

Dans les trois mois suivant la position commune du Conseil (si celui-ci en a effectivement adopté une), le Parlement doit s’exprimer. Il peut soutenir la décision commune du Conseil ou bien ne pas parvenir à un accord dans le temps imparti. Dans ces deux cas, la position commune du Conseil est adoptée. Si le Parlement, à la majorité absolue, rejette la position du Conseil (cas extrêmement rare), la procédure est close et l’acte n’est pas adopté. Enfin, le Parlement peut proposer de nouveaux amendements à la position commune du Conseil et dans ce cas, le texte repart pour une deuxième lecture au Conseil. Le texte est alors réétudié par le Conseil, et la même procédure s’applique pour, si besoin, la convocation du comité de conciliation et, si la conciliation échoue, une troisième lecture.

Tout au long de la procédure, des « trilogues informels » sont organisés, afin que le Conseil, la Commission et le Parlement européen parviennent à un compromis dans les meilleurs délais. La Commission, au sein de ces trilogues, joue le rôle de médiateur. 

Les autres pouvoirs du Parlement européen

Le Parlement européen a un rôle fondamental dans le processus décisionnel de l’Union européenne. En effet, étant élu au suffrage universel depuis 1979, il est la seule institution à être directement élue par les citoyens européens.

Depuis le traité de Lisbonne, il a vu ses compétences renforcées. Une quarantaine de nouveaux domaines comme l’agriculture et la pêche ou la sécurité et la justice ont été ajoutés à ceux pour lesquels il peut exercer un pouvoir de législateur, dans le cadre de la codécision.

Sur le budget

Il vote maintenant le budget de l’Union européenne avec le Conseil, ce qui est crucial pour toutes les actions menées par l’Union européenne.

Le Parlement européen partage sa compétence en matière de budget avec le Conseil de l’UE. Cela donne lieu, chaque année, à une âpre bataille entre les deux institutions, qui défendent des intérêts parfois divergents.

C’est la Commission qui élabore le projet de budget annuel avant de l’envoyer pour une première lecture au Conseil de l’UE. Celui-ci élabore sa position et la transmet au Parlement européen. Le Parlement européen peut alors apporter des amendements à la position du Conseil. Si le Conseil approuve ces amendements, le budget est adopté, sinon un comité de conciliation est convoqué. A l’issue de la conciliation (qui peut aboutir à un renvoi du texte à la Commission qui doit alors proposer un nouveau texte) un texte commun est publié, sur lequel le Conseil et le Parlement doivent se prononcer. Le Parlement européen peut adopter le budget sans l’accord du Conseil, mais à une majorité particulière (majorité des membres et trois cinquième des votes exprimés). Dans le cas où les deux institutions rejettent le projet, la Commission doit proposer un nouveau projet.

Si aucun accord n’est trouvé avant le début de l’année budgétaire (le 1er janvier), tant que le budget définitif n’est pas adopté, un douzième des crédits de l’année précédente pourra être dépensé chaque mois. Il n’est pas rare que le Conseil et le Parlement soient en désaccord sur le montant du budget : le Parlement voudrait le voir augmenter alors que le Conseil, composé des Etats membres qui financent le budget, a plutôt tendance à vouloir le limiter.

Autres attributions

Le Parlement européen élit le président de la Commission européenne, sur proposition du Conseil européen, qui tient compte des résultats des élections européennes. Le président de la Commission possède un pouvoir politique non négligeable au sein de l’Union européenne, c’est notamment lui qui donne les orientations de travail de la Commission pour cinq ans.

Le Parlement européen dispose également d’un pouvoir de recours auprès de la Cour de justice. Cela signifie qu’il peut saisir la cour de justice s’il estime qu’une des institutions européennes a agi en violation des traités. Il peut également se joindre aux parties d’une affaire s’il le souhaite.

Toutefois, la représentativité démocratique du Parlement européen est parfois remise en question, à l’instar de son poids réel dans le processus décisionnel. Le Parlement européen est élu au suffrage universel, mais le taux de participation aux élections européennes reste très faible (42,61% en 2014 en moyenne dans l’UE). De plus, la dimension européenne est parfois absente des campagnes, qui se focalisent souvent sur l’échelon national, voire régional.

Quant à sa place dans le processus décisionnel, le Parlement européen n’est pas compétent dans tous les domaines. Dans le cadre d’une directive sur les émissions polluantes, il peut participer à la procédure de codécision, mais pas sur une politique fiscale ou monétaire. Dans d’autres domaines, son pouvoir est limité, notamment pour les négociations d’accords de commerce internationaux ou pour le Brexit, pour lesquelles son pouvoir théorique se limite à un droit de veto. Mais ce dernier reste une arme efficace pour influencer les négociations : le Parlement définit en effet des lignes rouges en amont des négociations, qui leur donnent un cadre. Si ces lignes rouges ne sont pas respectées, l’accord court le risque de ne pas être accepté par le Parlement européen et donc de ne pas être adopté.

En ce qui concerne les questions internationales, le Parlement européen publie régulièrement des résolutions, qui ne possèdent pas de caractère contraignant. Elles n’ont qu’une valeur déclarative et symbolique, il serait en effet anormal qu’une institution internationale reste silencieuse sur certains sujets relatifs aux droits de l’Homme par exemple.

Enfin, le Parlement ne peut pas imposer l’adoption d’un texte à lui seul. Si le Conseil de l’Union européenne est opposé au texte, alors celui-ci sera abandonné.

Bien que présentant des similitudes, notamment par leur modalités d’élections, leur organisation ou le fait qu’ils peuvent voter des motions de censure, les parlements nationaux, surtout dans le cadre de régimes parlementaires, ont souvent plus de pouvoirs et de compétences que le Parlement européen. En France, par exemple, l’Assemblée nationale a un droit d’initiative législative similaire à celle du gouvernement. Cette différence entre les parlements nationaux et le Parlement européen n’est cependant pas dommageable, d’après le Parlement européen lui-même. En effet, l’Union européenne n’est pas un Etat, et il est important dans ce cadre que les Etats membres gardent un certain pouvoir par rapport au Parlement européen. De plus, le monopole de l’initiative de la Commission européenne, qui est neutre et indépendante, garantit une certaine objectivité des décisions prises.

A retenir :

  • Le Parlement européen est un rouage indispensable du processus décisionnel dans le cas des procédures de codécision
  • Ses compétences ont été renforcées par le traité de Lisbonne
  • Il peut proposer l’adoption de mesures législatives à la Commission européenne grâce à l’initiative parlementaire
  • Il est organisé en différentes commissions et délégations, qui travaillent sur les textes en fonction de leur domaine d’intérêt
  • L’objectif du rapporteur est de parvenir à un compromis
  • Le Parlement européen est élu au suffrage universel
  • Il est compétent uniquement dans certains domaines



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