Climat: des ONG et collectivités locales assignent Total en justice pour le forcer à changer son business model – novethic.fr

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Béatrice Héraud

C’est une action aussi ambitieuse que risquée. Un collectif de collectivités locales et d’associations assigne Total en justice au sujet de sa politique climatique en se fondant sur la loi sur le devoir de vigilance et sur la Charte de l’environnement. Une action inédite. Il n’est pas ici question de demander des dommages et intérêts mais de forcer le pétrolier à changer de business model.

Mardi 28 janvier, un collectif d’associations (Notre Affaire à tous, Sherpa, France Nature Environnement, ZEA) et de collectivités locales (les éco-maires qui regroupent 14 communes et régions engagées) a assigné Total en justice dans le but de « rehausser les ambitions climatiques d’une multinationale du pétrole ». Une démarche qui vise in fine à modifier le business model de l’entreprise et que le pétrolier dit « regretter« . Pour certains experts, elle pourrait même s’avérer « dangereuse » en faisant s’immiscer le juge dans la gestion des entreprises.

Accélérer la transition énergétique

L’assignation intervient après deux ans d’échanges et de rencontres entre les associations et l’entreprise. Les plaignants s’appuient sur le devoir de vigilance, dont la première publication de Total date de 2018. Il oblige les grandes entreprises françaises à identifier, prévenir et réduire les risques environnementaux, de sécurité et de droits humains de leurs activités sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Ils en appellent aussi à la charte de l’environnement qui a une valeur constitutionnelle.

« Nos échanges avec Total ont permis de faire intégrer le climat dans le plan de vigilance. Mais nous ne sommes pas satisfaits sur le fond des actions mises en place pour faire face aux risques identifiés. Cela nécessite que nous saisissions le juge pour faire en sorte que l’entreprise fasse évoluer son business model », déclare ainsi Paul Mougeolle, de Notre Affaire à Tous. « Nous ne voulons pas faire disparaître Total mais l’amener à accélérer sa transition énergétique, en réorientant ses investissements vers les renouvelables et en abandonnant les fossiles », précise leur juriste Sébastien Mabile. 

Quant aux édiles de collectivités locales plaignantes, ils estiment que le pétrolier « doit rendre des comptes » et faire sa part puisqu’eux doivent déployer « une énergie folle » à s’adapter au changement climatique dont Total est « en partie responsable ».

L’interprétation du devoir de vigilance au coeur des débats

C’est là que la bataille juridique commence. De quoi Total est-elle responsable ? Et jusqu’où l’entreprise doit-elle rendre des comptes et agir ? Les réponses dépendront de débats autour de points critiques. En premier lieu, le périmètre des émissions de gaz à effet de serre. Selon que l’on intègre ou pas les émissions générées par les clients de Total (ce que l’on appelle le scope 3), les émissions de l’entreprise varient du simple au décuple (entre 42 et 440 millions de tonnes par an, soit de 0,1 à 1% des émissions totales mondiales). Or pour Total, l’entreprise n’est « juridiquement pas responsable » du scope 3 en ce qui concerne le plan de vigilance. 

Il s’agira aussi de juger les moyens mis en œuvre par Total pour répondre au risque climatique. Le collectif se base sur les derniers rapports du GIEC et l’ambition de l’Accord de Paris la plus forte, soit +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Dans ce cadre, il juge que les ambitions et actions de Total dans son plan de vigilance sont insuffisantes. Pour le pétrolier, celui-ci est « conforme » : les « enjeux climatiques sont reconnus publiquement et intégrés dans sa stratégie en apportant une contribution responsable à la réalisation de l’Accord de Paris« . Un texte qui s’applique aux États et non aux entreprises, tient à préciser Total. 

Pas de demandes de dommages et intérêts mais un changement de business model

Les demandes des plaignants ne sont pas financières. Contrairement aux actions judiciaires américaines, il ne s’agit pas d’obtenir des dommages et intérêts pour aider les collectivités à faire face aux coûts d’adaptation, mais de condamner Total à publier un nouveau plan de vigilance avec une nouvelle identification des risques et les mesures préventives à mettre en place. Pour le collectif, celles-ci devraient aller jusqu’à toucher le mix énergétique du pétrolier : -87 % de production de pétrole et -74 % de gaz d’ici 2050 par rapport à 2010.

De telles demandes, qui visent directement la stratégie de l’entreprise, semblent peu susceptibles d’aboutir via ce type de procédure, d’autant qu’il s’agira du premier procès sur le fond du devoir de vigilance. Mais celles-ci pourraient s’installer dans le paysage judiciaire. Déjà au Pays-Bas, en avril dernier, plusieurs ONG ont assigné Shell en justice pour obtenir une réduction de ses émissions en ligne avec les objectifs de l’accord de Paris. Reste à voir jusqu’où ira le juge en France, à qui la loi sur le devoir de vigilance laisse une large marge d’interprétation. Total sera un cas d’école puisque le pétrolier fait l’objet d’une autre procédure, basée sur cette même loi mais concernant des risques de droits humains sur un projet ougandais. Premiers éléments de réponse le 30 janvier.