Brexit : quelles conséquences pour la pêche ?

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Actualité


17.12.2018

Justine Daniel

Tout comme les agriculteurs, les pêcheurs britanniques ont massivement soutenu le Brexit dans l’idée de « reprendre le contrôle de leurs eaux territoriales« , actuellement partagées avec leurs voisins européens. Et tandis que la perspective d’une sortie brutale de l’UE se profile, les pêcheurs européens s’inquiètent de se voir interdire l’accès aux eaux britanniques, où leur activité est abondante.

Vue sur un village de pêcheurs en Écosse - Crédits : CasarsaGuru / iStock

Vue sur un village de pêcheurs en Écosse – Crédits : CasarsaGuru / iStock

Sujet phare des partisans du Brexit pendant la campagne pour le référendum, la pêche est un enjeu majeur pour le Royaume-Uni. Ce territoire îlien dispose, en effet, d’une importante zone maritime. Le Royaume-Uni est ainsi, en 2017, le troisième plus gros pêcheur de l’UE (722 691 tonnes pêchées) derrière le Danemark (904 450), l’Espagne (902 162) et devant la France (529 340).

Tout comme les agriculteurs, les pêcheurs britanniques ont ainsi ardemment soutenu le Brexit, même en Irlande du Nord, province qui s’est prononcée à 56% contre la sortie de l’UE. Pour Steeve Barratt, pêcheur à Ramsgate (Royaume-Uni), « on veut juste éviter ces réglementations, on ne peut pas survivre avec donc on n’a pas d’autres choix que de sortir et de continuer seul« .

Le 13 novembre dernier, la Première ministre Theresa May a présenté l’accord de sortie du Royaume-Uni de l’UE ardument négocié avec Bruxelles depuis 17 mois. Si ce traité est adopté par le Parlement britannique avant la sortie effective du Royaume-Uni de l’UE le 29 mars 2019, les deux parties auront jusqu’à juillet 2020 pour négocier un accord sur la pêche. Sinon, si l’accord de retrait n’est pas validé, le Royaume-Uni sortira brutalement de la politique commune de la pêche (PCP), dès le 30 mars.  

« Reprendre le contrôle de nos eaux »

Car à l’instar de la PAC, la politique européenne de la pêche (PCP) réglemente et organise le secteur halieutique depuis 1970. « Conçue pour gérer une ressource commune, elle donne à l’ensemble de la flotte de pêche européenne une égalité d’accès aux eaux et aux fonds de pêche de l’UE et permet aux pêcheurs de se faire une concurrence équitable« , explique la Commission européenne. Cela signifie que les zones économiques exclusives (ZEE) des États membres, soit l’espace maritime sur lequel chaque État côtier exerce ses droits en matière d’exploitation et d’usage des ressources (200 miles nautiques depuis les côtes ou la moitié de la zone si elle est en concurrence avec un autre État côtier), sont mises en commun et accessibles à tous.

La politique commune de la pêche

Dans un souci de préservation des stocks de poissons à long terme, la PCP prévoit également des quotas contraignants de pêche. Le volume des quotas (ou totaux admissibles de capture – TAC) pour les stocks en eaux profondes est défini tous les ans ou tous les deux ans par le Conseil des ministres de la pêche. « Ils sont répartis entre les pays de l’UE sous la forme de quotas nationaux (…) distribués en appliquant un pourcentage différent par stock et par pays« , précise la Commission. La PCP limite donc la pêche britannique dans les eaux britanniques… au profit de ses concurrents européens.

De quoi facilement convaincre les pêcheurs d’outre-Manche de reprendre le contrôle de leurs eaux, très poissonneuses – près de 40% des poissons dans l’UE y sont pêchés – mais exploitées par une bonne partie de leurs voisins européens. D’autant plus que les pêcheurs britanniques eux-mêmes s’aventurent peu chez leurs voisins : de 2011 à 2015, ils n’ont capturé que 90 000 tonnes de poisson en dehors de leurs eaux, loin des 760 000 tonnes prélevées par les Européens dans les eaux britanniques.

Theresa May a ainsi promis que le Royaume-Uni quitterait la PCP lorsque le Brexit serait effectif et « négocierait en tant qu’État côtier indépendant l’accès à ses eaux territoriales« , comme le fait actuellement l’UE avec les pays tiers. Une promesse réitérée dans le Livre blanc publié par le gouvernement en juillet 2018.

Inquiétudes européennes

Mais près de 40 ans après l’instauration de la PCP, les pêcheurs européens sont dépendants de l’accès aux eaux britanniques. 30 % des captures françaises y sont effectuées, dont 50 % pour les pêcheurs bretons et 75 % pour les Hauts-de-France, selon le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Avec la Normandie, ces deux régions représentent 75% du secteur halieutique français pour un chiffre d’affaires de 110 millions d’euros réalisé dans les eaux britanniques en 2017. La pêche (et l’aquaculture), c’est aussi 166 000 emplois directs dans l’Union européenne dont plus de 40 000 en Espagne et près de 23 000 en France (2017).

La future sortie du Royaume-Uni de l’UE a donc de quoi inquiéter les pêcheurs français mais également néerlandais, danois ou encore espagnols qui ont leurs habitudes dans les immenses eaux britanniques. Plusieurs organisations de pêche, dont le CNPMEM, se sont même rassemblées dans l’EUFA (European Fisheries Alliance) qui défend les intérêts des flottes européennes auprès de l’équipe de négociateurs européens.

« Si le Brexit rétablit une frontière terrestre et ferme ses eaux, nos pêcheurs perdront 30 % de leurs revenus« , souligne Sean O’Donoghue, porte-voix des pêcheurs bruxellois. En France, on pêche le lieu noir à 92% et le hareng à 74% dans les eaux britanniques. Certaines flottilles sont complètement dépendantes de cet accès, précise le CNPMEM. Et plusieurs espèces ne sont présentes que dans la ZEE du Royaume-Uni. 

Si l’accord de retrait est accepté par le Parlement britannique

Quelques jours avant que les Vingt-Sept ne valident l’accord de sortie négocié par Theresa May à Bruxelles, plusieurs pays menés par la France ont réclamé des garanties sur leur accès aux eaux britanniques après le Brexit. Afin d’éviter de bloquer l’accord de retrait, ces discussions très sensibles ont été repoussées par les deux parties à la période de transition. La déclaration politique qui encadre les négociations autour de la future relation mentionne que « les parties mettront tout en œuvre pour conclure et ratifier leur nouvel accord de pêche avant le 1er juillet 2020 afin qu’il soit en place à temps pour permettre de déterminer les possibilités de pêche [les quotas] pour la première année suivant la période de transition« . Des discussions qui n’auront lieu qu’à condition qu’un accord de sortie entre en vigueur avant le 29 mars 2019.

Le point de convergence pourrait venir du fait que 75% des poissons pêchés par les Britanniques sont écoulés de l’autre côté de la Manche et circulent librement grâce au marché unique. « Pour rétablir le rapport de force, les 27 veulent dès lors lier l’accès au marché unique à celui aux eaux territoriales [britanniques] », expliquent Les Échos.

Le report des discussions a été très mal accueilli par certains pêcheurs britanniques, qui devront continuer à accepter leurs concurrents européens et respecter les quotas dans leurs eaux pendant les deux ans de la période de transition. « L’association Fishing for Leave, représentant les pêcheurs britanniques pro-Brexit, a condamné cet accord, qualifié de ‘capitulation’, et a accusé Theresa May d’avoir menti aux Communes« , relate Le Point. 13 députés conservateurs écossais ont annoncé qu’ils ne voteraient pas l’accord, en soutien aux pêcheurs écossais.

Comme le prévoit la déclaration politique UE/Royaume-Uni, un accord indépendant sur la pêche sera quoi qu’il en soit nécessaire pour établir les relations entre le Royaume-Uni et l’UE-27 concernant la pêche. En l’état actuel des choses, l’accord de retrait prévoit qu’à l’issue de la période de transition, si aucun accord n’est trouvé, le fameux backstop (filet de sécurité) s’appliquera. Le Royaume-Uni sera ainsi maintenu dans une union douanière avec l’UE à l’exception des services et des produits de la mer. Donc « pour nous, si on tombe dans la solution du backstop, c’est comme s’il y avait un no deal« , explique le CNPMEM.

Et en cas de no deal ?

En cas de no deal et de retrait brutal le 30 mars, le Royaume-Uni sortira immédiatement de la PCP et pourra alors bloquer l’accès à ses eaux pour tous les pêcheurs européens. « L’accès aux eaux du Royaume-Uni et aux ressources de pêche afférentes sera cadré par le droit britannique« , précise le ministère de l’Agriculture français.

Le Royaume-Uni sera dans ce cas « responsable de gérer ses propres ressources naturelles marines et pourra contrôler et gérer l’accès à la pêche dans les eaux britanniques ». Ainsi, « les navires non immatriculés au Royaume-Uni ne jouiront plus d’un accès automatique aux eaux britanniques« , précise le gouvernement.

Le règlement européen sur la pêche illégale s’appliquera cependant aux pêcheurs britanniques qui souhaitent exporter leur pêche dans l’UE. Cette législation requiert que les pays tiers doivent disposer d’un certificat de capture attestant de la légalité de la pêche des produits importés. En l’absence de ce document, les produits sont bloqués par les douanes.

Une contrainte administrative qui ne devrait pas plaire aux pêcheurs britanniques. Mais en contrepartie, « la loi britannique pourra imposer la réciprocité en matière d’exigibilité du certificat de capture à l’exportation de produits de la mer vers son territoire« , précise le ministère de l’Agriculture. Une possibilité confirmée par le gouvernement britannique.

Au-delà des contraintes administratives, ce sont les droits de douane négociés dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui se verront immédiatement appliqués, comme en l’absence d’accord commercial ou d’union douanière.

Les chalutiers irlandais, qui n’auront pas non plus accès aux eaux britanniques, craignent de leur côté que la concurrence avec les pêcheurs européens se fasse d’autant plus importante dans leurs propres eaux territoriales. Normalement, les quotas de pêche devraient l’empêcher mais il sera très tentant pour les concurrents européens privés d’accès aux eaux britanniques d’investir dans des chalutiers sous pavillon irlandais.

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