Brexit : l’accord de sortie « Johnson/UE » en 8 points clés


Synthèse


28.10.2019

Marie Guitton

Période de transition, circulation des marchandises sur l’île d’Irlande, droits des résidents et des travailleurs… : Toute l’Europe résume en 8 points clés le projet d’accord de sortie du Royaume-Uni de l’UE, qui a été validé à Bruxelles le 17 octobre 2019. Ce « deal« , négocié par Boris Johnson et l’UE, est une nouvelle mouture du précédent accord, proposé par Theresa May et l’UE en novembre 2018.

Donald Tusk et Boris Johnson, le 17 octobre 2019 - Crédits : Alexandros Michailidis / European Council

Donald Tusk et Boris Johnson, le 17 octobre 2019 – Crédits : Alexandros Michailidis / European Council

Le 23 juin 2016, les Britanniques ont majoritairement voté « yes », par référendum, à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Mais comment organiser ce retrait ?

Les négociations ont officiellement débuté le 19 juin 2017 et, après dix-sept mois, un premier projet d’accord de retrait a été trouvé le 13 novembre 2018 entre Londres et Bruxelles.

Brexit : l’accord de sortie « May/UE » en 8 points clés

Ce « deal« , négocié sous la houlette de l’ancienne Première ministre britannique Theresa May, a néanmoins été rejeté trois fois par les députés britanniques.

Cela a conduit les Européens à repousser à trois reprises la date du Brexit : d’abord du 29 mars 2019 au 12 avril, puis au 31 octobre et enfin au 31 janvier 2020.

Le 17 octobre 2019, à deux semaines de l’échéance prévue avant le dernier report, le nouveau Premier ministre britannique Boris Johnson et les négociateurs de l’UE se sont entendus sur une nouvelle version de l’accord de sortie.

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La plupart des dispositions présentes dans le projet d’accord initial (585 pages, 185 articles et 3 protocoles spécifiques) ont été maintenues.

Mais le protocole sur l’Irlande du Nord a été totalement révisé. Ainsi que la déclaration politique censée encadrer les négociations qui se dérouleront pendant la période de transition, sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE.

L’accord « Johnson/UE » a été entériné par les Vingt-Huit le 17 octobre 2019. Mais pour qu’il puisse s’appliquer, les parlementaires britanniques et européens doivent encore le ratifier au cours d’un vote.

Que sont devenues les mesures les plus débattues depuis novembre 2018, et notamment le « backstop » en Irlande du Nord ? Quels sont les articles plus consensuels entérinés depuis des mois ? Toute l’Europe fait le point… en 8 points clés.

 

Une période de transition jusqu’à fin 2020… voire fin 2022

Sur ce point, l’accord Johnson/UE reprend les mêmes dispositions que celui signé par Theresa May. Le Royaume-Uni et l’Union européenne se sont mis d’accord sur ce point dès le début de l’année 2018 : si l’accord de retrait était adopté, leurs négociations se poursuivraient jusqu’au 31 décembre 2020, le temps de régler les conditions définitives de leur divorce, et notamment d’organiser leur future relation commerciale.

Pendant cette période de transition, quasiment rien ne changerait : « l’UE traitera le Royaume-Uni comme s’il s’agissait d’un État membre« , résume un mémo de la Commission européenne. Le pays conserverait tous ses droits d’accès au marché unique européen et continuerait d’appliquer l’ensemble du droit européen, y compris les nouvelles règles adoptées par Bruxelles. Il ne pourrait donc pas signer d’accords de libre-échange avec des pays tiers.

En revanche, Londres ne siègerait plus dans les institutions européennes et ne participerait donc plus aux décisions de l’UE que les Britanniques continueraient d’appliquer.

En cas d’accord des deux parties, cette période de transition pourrait être prolongée une fois, pour une durée maximum de deux ans, comme l’ont décidé les négociateurs du Brexit le 22 novembre 2018 à Bruxelles. Donc jusqu’au 31 décembre 2022 maximum.

 

Le « backstop » remplacé par un double régime douanier en Irlande du Nord

La question la plus épineuse, qui a empêché l’adoption du projet d’accord de sortie May/UE par les parlementaires britanniques, est celle de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.

En effet, après le divorce, une véritable frontière physique serait théoriquement nécessaire pour contrôler les passages de personnes et de marchandises entre les deux parties de l’île. Or actuellement, 30 000 travailleurs transfrontaliers passent quotidiennement la frontière, longue de 500 km et percée de 400 passages routiers. Et 57 % des exportations nord-irlandaises sont envoyées dans l’UE, dont 21 % vers la République d’Irlande.

Dès le mois de décembre 2017, pour respecter les accords de paix de Belfast de 1998, un grand principe a donc été entériné entre Bruxelles et Londres : « Nous garantirons qu’il n’y aura pas de frontière dure » rétablie entre les deux Irlande, avait affirmé Theresa May. Mais comment y parvenir ?

La solution trouvée dans l’accord du 13 novembre 2018 consistait à maintenir à la fois l’Irlande du Nord et le reste du Royaume Uni dans un « filet de sécurité » provisoire (appelé « backstop » en anglais) : tant qu’aucune autre solution satisfaisante n’aurait été trouvée, l’UE et le Royaume-Uni seraient restés regroupés dans un « territoire douanier unique », régi par les tarifs douaniers européens, ainsi qu’un certain nombre de règles sociales, environnementales et économiques européennes.

Une solution inacceptable, notamment pour les défenseurs d’un Brexit dur (appelés hard-brexiters) qui désespéraient de voir leur pays reprendre un jour la main sur sa politique commerciale.

Brexit : l’accord de sortie « May/UE » en 8 points clés

C’est donc un protocole largement révisé qui figure dans l’accord Johnson/UE de 2019. 

Avec ce nouveau texte, le Royaume-Uni sortirait de l’union douanière de l’UE après la période de transition, ce qui lui permettrait de reprendre la main sur sa politique commerciale (et notamment de signer des accords commerciaux avec les pays tiers à partir de 2021).

En revanche, l’Irlande du Nord resterait alignée sur « un ensemble limité de règles relatives au marché unique de l’UE« , notamment les règles sanitaires, les règles relatives aux aides d’Etat, ou encore la TVA, énumère la Commission européenne dans un communiqué.

Par ailleurs, sur le plan douanier, l’Irlande du Nord, tout en faisant partie du territoire douanier britannique (et non plus de l’union douanière avec l’UE), continuerait d’appliquer le code des douanes européen pour les produits qui entreraient sur son territoire et qui « risqueraient », par la suite, d’être introduits sur le marché européen.

Par conséquent, aucun contrôle n’aurait besoin d’être rétabli entre les deux Irlande, mais des contrôles règlementaires et/ou douaniers devraient être opérés sur les produits importés en Irlande du Nord depuis le reste du Royaume-Uni ou les pays tiers, et qui auraient vocation à pénétrer le marché européen.

Une sorte de frontière serait donc instaurée en mer d’Irlande (entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni) sur certains produits : une option qu’avait catégoriquement écartée Theresa May… et qui est toujours vilipendée par les unionistes nord-irlandais, pourtant alliés des conservateurs, qui craignent un traitement différencié de leur territoire par rapport au reste du Royaume.

Pour faire passer la pilule, les Européens ont néanmoins concédé un droit de regard à l’Assemblée d’Irlande du Nord, qui aurait « une voix décisive sur l’application à long terme du droit de l’UE pertinent en Irlande du Nord« , selon la Commission européenne. En effet, les députés d’Irlande du Nord se prononceraient sur le dispositif une fois tous les quatre ans, après la fin de la période de transition.

Si l’abrogation de ce système était réclamée, les articles 5 à 10 du protocole (l’essence du présent dispositif) cesseraient de s’appliquer deux ans plus tard… le temps, peut-être, de trouver une autre solution pour préserver la libre circulation entre les deux Irlande ?

 

Les résidents conservent leurs droits

Là aussi, le texte ne contient pas de modifications par rapport à l’accord négocié par Theresa May en 2018. A l’annonce de la victoire du « oui » au référendum sur le Brexit, la première inquiétude des Européens installés au Royaume-Uni et des Britanniques résidant dans les autres Etats membres de l’UE a porté sur leur futur statut. Assez rapidement, les négociateurs ont toutefois tenu à les rassurer : dans un « pré-accord » d’une quinzaine de pages négocié dans la nuit du 7 au 8 décembre 2017, ils ont prévu que ces citoyens et leurs familles conserveraient les mêmes droits après le Brexit, notamment à la santé, à la retraite, aux prestations sociales, au regroupement familial, ou encore à l’égalité de traitement (accès au travail et à l’éducation).

Le projet d’accord de sortie confirme cette solution de statu quo : s’il est ratifié par les parlementaires, les citoyens étrangers déjà établis de part et d’autre de façon permanente au moment du Brexit pourront continuer à y travailler, y étudier et y mener leur vie comme avant. Les nouveaux arrivants, qui s’y installeront avant la fin de la période de transition, obtiendront un droit de résidence permanente au bout de cinq ans de séjour.

A l’inverse, une fois obtenu, ce droit sera perdu en cas d’absence pendant plus de cinq ans.

« L’accord de retrait garantit le droit de rester et de poursuivre ses activités actuelles à plus de 3 millions de citoyens de l’UE au Royaume-Uni et à plus d’un million de citoyens britanniques dans les pays de l’UE », conclut donc un mémo de la Commission européenne.

 

Londres promet de payer sa facture

Là encore, pas de changement entre les accords de 2018 et 2019. Un autre débat précoce a porté sur le « solde de tout compte » qui accompagnerait le divorce. « Car avant de voter le Brexit, Londres s’était engagé sur le budget 2014-2020 de l’Union européenne, notamment pour financer certains projets », rappelle LCI

L’accord de sortie ne chiffre pas ces engagements, mais le gouvernement britannique, qui a promis de les tenir, évalue la facture à une quarantaine de milliards d’euros.

Par ailleurs, la méthodologie retenue n’est finalement pas celle d’un solde de tout compte, puisque certains programmes ne seront pas finalisés à la date du Brexit.

« Près de la moitié serait réglée d’ici 2020 » et la totalité « étalée sur une durée de 45 ans », relatait ainsi le HuffPost en mars 2018 sur la base d’une analyse du Bureau de la responsabilité budgétaire (OBR), « un organisme jugé indépendant ».

Enfin, si la période de transition était prorogée au-delà de la fin de l’année 2020, « le Royaume-Uni serait traité comme un pays tiers dans sa participation aux programmes européens », précise l’AFP. (Pour la période 2014-2020, la Norvège participe par exemple à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros aux programmes Erasmus+, Galileo, ou encore à la coopération dans le cadre de l’espace Schengen, dont elle fait partie.)

 

La Cour de justice de l’UE reste compétente

Si l’accord de retrait est ratifié, les Britanniques resteront, en cas de désaccord sur l’interprétation des règles européennes jusqu’à la fin de la période de transition, sous la juridiction de la Cour de Justice de l’UE. L’accord de 2019 reprend ici les mêmes dispositions que celui de 2018.

Mais en cas de différend portant sur l’accord de retrait en lui-même, « une première consultation politique aurait lieu au sein d’une commission mixte », explique la Commission européenne. Si aucune solution n’était trouvée, le litige serait soumis à des arbitres spécifiques, comme tous les accords internationaux. « Leur décision sera contraignante pour l’Union européenne et le Royaume-Uni. En cas de non-respect, le groupe spécial d’arbitrage pourra fixer une somme forfaitaire ou une astreinte à verser à la partie lésée », précise le mémo.

 

Coopérations renforcées avec Gibraltar

Autre point sensible, mais plutôt pour l’Espagne cette fois, le projet d’accord Johnson/UE prévoit, comme le précédent, un protocole spécifique relatif à Gibraltar. L’enclave britannique de 7 km², située au sud de la péninsule ibérique, est revendiquée par Madrid depuis trois siècles.

Selon la Commission européenne, ce protocole « jette les bases » de nombreuses « coopérations administratives », en ce qui concerne les droits des résidents et des travailleurs frontaliers, la fiscalité, la police et la douane, ou encore la protection de l’environnement et la pêche.

Mais deux aspects de l’accord n’ont pas satisfait les Espagnols. Comme l’explique Le Figaro, l’accord sur le Brexit « inclut explicitement Gibraltar dans la définition du Royaume-Uni » et il ne fait « aucune mention de négociations bilatérales » avec l’Espagne.

Le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a donc déclaré le 20 novembre 2018 : « en tant que pays, nous ne pouvons pas concevoir que ce qui se passera à l’avenir concernant Gibraltar dépende de négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne« . Ce dernier a donc menacé de bloquer l’accord du Brexit si l’Espagne n’obtenait pas un droit de veto sur de futurs accords entre l’UE et Londres qui concerneraient Gibraltar et la possibilité de négocier directement avec Londres l’avenir de l’enclave disputée.

Finalement, après de longues discussions entre Madrid, Londres et Bruxelles, les Britanniques ont accepté de tenir des discussions bilatérales avec les Espagnols et ces derniers ont également obtenu de l’UE une déclaration écrite accédant à leur demande de droit de veto.

[Revue de presse] Brexit : l’Espagne veut une négociation directe avec Londres sur Gibraltar

 

A Chypre, le droit européen dans les bases britanniques

Dans un troisième protocole rattaché à l’accord de sortie, Bruxelles et Londres se sont également engagés à « mettre en place des arrangements appropriés » pour « protéger les intérêts des Chypriotes qui vivent et travaillent » dans les deux bases militaires souveraines que possède le Royaume-Uni sur l’île (Sovereign Base Areas (SBA)), même après le Brexit.

Les quelque 11 000 civils chypriotes concernés devraient ainsi continuer à bénéficier du droit de l’Union européenne, « sans aucune perturbation », qu’il s’agisse de fiscalité, marchandises, agriculture, pêche ou règles vétérinaires et phytosanitaires, résume la Commission européenne.

 

Plus de 3000 indications géographiques préservées

Le projet d’accord de retrait prévoit également un certain nombre de dispositions sur la propriété intellectuelle, les marques déposées ou encore les appellations d’origine.

« Plus de 3 000 indications géographiques, telles que ‘jambon de Parme’, ‘champagne’ ou ‘feta’ sont aujourd’hui protégées par le droit de l’Union européenne », explique notamment la Commission européenne. « Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne n’entraînera aucune perte de ces droits de propriété intellectuelle […]. Cet accord bénéficiera également aux indications géographiques portant un nom d’origine britannique (par exemple l’agneau gallois) », précise-t-elle.  

Quid de la « déclaration politique » ?

Le 25 novembre 2018, en parallèle de l’accord de sortie May/UE, les Vingt-Huit avaient aussi endossé – lors d’un Conseil européen extraordinaire – une « déclaration politique » censée guider leurs négociations pendant toute la période de transition.

Cette déclaration a été revue en octobre 2019, et sa nouvelle mouture dévoilée en même temps que l’accord Johnson/UE.

« Le principal changement dans la déclaration politique a trait aux futures relations économiques entre l’UE et le Royaume-Uni« , précise la Commission européenne. « La déclaration politique prévoit un accord de libre-échange ambitieux avec zéro droit de douane et quota entre l’UE et le Royaume-Uni. Il affirme que des engagements solides devraient garantir une concurrence ouverte et loyale. »

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