Auditions des futurs commissaires européens : feu orange pour Sylvie Goulard



Actualité


02.10.2019

Marie Guitton

Ni vert, ni rouge. Les eurodéputés qui ont auditionné mercredi 2 octobre la commissaire désignée par la France devraient lui demander des « clarifications« , voire la convoquer pour une nouvelle audition. Copieusement interrogée sur deux affaires susceptibles de gêner son mandat, Sylvie Goulard a également manqué de temps pour livrer des réponses « précises » sur les nombreux enjeux que recouvre son large portefeuille. Récit de la journée.

Sylvie Goulard a répondu aux questions des eurodéputés mercredi 2 octobre, notamment sur deux affaires susceptibles de gêner son éventuel mandat de commissaire - Crédits : Eric Vidal / European Union 2019

Sylvie Goulard a répondu aux questions des eurodéputés mercredi 2 octobre, notamment sur deux affaires susceptibles de gêner son éventuel mandat de commissaire – Crédits : Eric Vidal / European Union 2019

Une audition « musclée« . C’est ce que prévoyaient, dans les couloirs du Parlement européen à Bruxelles, de nombreux observateurs mercredi matin, à quelques heures du grand oral de Sylvie Goulard devant les eurodéputés.

La commissaire désignée par la France et dotée d’un « super-portefeuille » par Ursula von der Leyen, la future présidente de la Commission européenne, n’aurait-elle pas les épaules assez larges ? Bien au contraire. En témoigne le long CV européen de cette ancienne eurodéputée et ancienne collaboratrice de Romano Prodi à la Commission européenne, qui s’est successivement exprimée en quatre langues le 2 octobre après-midi (français, anglais, allemand et italien). Ses compétences ? La plupart des groupes politiques du Parlement européen les reconnaissaient avant même de procéder à son audition, bien que sa prestation ait été jugée légère sur certaines thématiques, comme le tourisme ou la culture, liées à ses futures attributions.

Sylvie Goulard, une Française (très) européenne bientôt à la Commission ?

Sur le marché intérieur, l’industrie, l’intelligence artificielle, la défense, ou encore l’espace, Mme Goulard a livré ses orientations avec un peu plus de conviction. Mais les obstacles s’étaient amoncelés contre elle à l’aube de son passage devant les commissions spécialisées du Parlement européen – une étape indispensable avant son éventuelle confirmation en tant que commissaire. L’étendue-même de son portefeuille aurait été perçue – notamment par la droite allemande – comme une reconnaissance trop importante de l’influence d’Emmanuel Macron en Europe.

Un portefeuille très large
Sylvie Goulard a été proposée comme commissaire au Marché intérieur. Selon sa lettre de mission, elle devrait également développer une industrie commune de la défense, et superviser le futur programme spatial européen. Son portefeuille inclurait aussi des missions liées à l’Intelligence artificielle ou à la propriété intellectuelle. Elle devrait faire de l’Union européenne un marché numérique et technologique « uni et souverain« , mais également contribuer à la définition d’une stratégie de long-terme pour l’avenir industriel de l’Union. Celle-ci engloberait des aspects liés à la compétitivité, à l’investissement, aux marchés publics, au commerce, à l’innovation et au soutien aux petites et moyennes entreprises (PME).

La droite conservatrice européenne (PPE) ne cachait pas non plus sa tentation de « déboulonner » un candidat affilié au groupe centriste libéral (Renew Europe), après l’éviction d’un commissaire hongrois issu de ses propres rangs.

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Une commissaire désignée par la Roumanie, affiliée à la gauche européenne (S&D),  avait aussi été retoquée. Dès lors, fallait-il éliminer un centriste pour rééquilibrer les rapports de force ? Les conjectures allaient bon train, avant le début de l’audition. Proposée par le chef de l’Etat français, Sylvie Goulard était également, de fait, entrée dans le viseur de nombreux eurodéputés tricolores issus des rangs de l’opposition… d’autant moins enclins à adouber une commissaire susceptible d’être rattrapée par les « affaires » au cours de son mandat : une rémunération controversée par un think tank américain, touchée alors que Sylvie Goulard était eurodéputée ; et une enquête en cours sur l’emploi présumé fictif d’un collaborateur du MoDem (l’ancien parti de Mme Goulard) au Parlement européen.

Un examen de sa probité, autant que de ses compétences

Sans surprise, l’audition de la Française s’est donc ouverte, après une courte allocution à 14h30, sur une volée de questions n’ayant pas trait à sa compétence, mais à sa probité.

« Comment se fait-il qu’elle ait dû démissionner de son poste de ministre et se voit présenter en tant que commissaire ? Ça choque…« , soufflait déjà, en amont de l’audition, l’eurodéputée allemande Evelyne Gebhardt (S&D). En 2017, alors qu’elle venait d’être nommée ministre des Armées par Emmanuel Macron, Sylvie Goulard avait en effet quitté ses fonctions au bout de quelques mois face au risque d’être mise en examen dans l’affaire des emplois présumés fictifs du MoDem au Parlement européen. « Aujourd’hui, la situation est fondamentalement différente : j’ai été entendue et je ne suis pas mise en examen« , s’est justifiée la Française le 2 octobre, avant d' »invoquer la présomption d’innocence« . « Je me sens très sereine et confiante parce que je ne suis pas mise en examen. Dans la mesure où la commission [des Affaires juridiques du Parlement européen] a considéré qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêt, je me sens à l’aise.« 

Au total, sur trois heures d’audition, les « affaires » occuperont près de la moitié des débats. Autre tâche d’huile sur le parcours de la Française : sa rémunération, d’environ 10 000 € par mois pendant 27 mois, par l’institut Berggruen, un think tank américain, alors qu’elle était eurodéputée. « J’ai tout déclaré, tout était légal. […] On peut questionner, mais on ne peut pas jeter la suspicion simplement parce qu’une personne a travaillé. Et a travaillé à quoi ? A promouvoir l’intégration européenne« , explique Sylvie Goulard.

Qui sont les futurs commissaires européens ?

Quand l’extrême droite répète la même question, la Française soupire, mais répond tout de même « volontiers« , comme elle le fera tout au long de l’audition, avec la « combativité » que lui connaissent ses anciens collègues. Y a-t-il un risque d’ingérence américaine dans la future politique européenne ? « Ce n’était pas le Pentagone […]. Nicolas Berggruen est aussi allemand. Il est européen, il a grandi à Paris et il vit maintenant aux Etats-Unis. Deuxièmement, je pense que les réalités transatlantiques sont importantes pour beaucoup de sujets qui nous occupent. […] Je suis plutôt heureuse d’avoir eu cette expérience« , conclut Sylvie Goulard. Tout en précisant avoir « conscience que les sommes en jeu sont élevées » ; et de reconnaître un peu plus tard : « Je ne l’aurais pas fait dans une fonction exécutive.« 

« Moins de temps pour les questions de fond« 

Après quelques tweets de parlementaires, fatigués d’entendre les mêmes questions, l’audition a finalement pu se reporter sur le fond. « Un tiers des questions sur son intégrité, c’est autant de questions en moins sur le contenu de son portefeuille« , a presque semblé regretter, à la sortie, Petra de Sutter, la présidente de la commission parlementaire du Marché intérieur. Ses membres et ceux des commissions de l’Industrie, de la Culture et de la Justice ont tout de même pu, chacun, interroger la commissaire désignée par la France sur ses futures attributions.  

« Aurez-vous le courage d’ouvrir la directive services, de l’étendre plus avant ?« , a questionné un membre de Renew. « Voulez-vous permettre à nouveau la concurrence illicite entre les systèmes de sécurité sociale des Etats membres ?« , a poursuivi une social-démocrate. « Quelles mesures concrètes prendrez-vous pour éviter que les bénéficiaires du Fonds européen de défense ne soient pas que les plus grosses entreprises du secteur de la défense ?« , s’est enquis un souverainiste de l’ECR. « Comment allez-vous garantir que la nouvelle législation sur le numérique va garantir les droits en ligne ?« , s’est ému un écologiste, avant une autre interrogation très précise sur l’homologation des voitures au diesel.

« Mme Goulard a souligné qu’il était essentiel de parachever le marché intérieur, à la fois pour les services et l’industrie. Elle a insisté sur la nécessité de permettre aux entreprises de contribuer à la croissance, notamment en soutenant les PME et en réduisant les formalités administratives. Elle a également mentionné l’économie circulaire et les opportunités pour l’industrie européenne liées à la résolution de la crise climatique« , résume un communiqué du Parlement européen publié dans la soirée. « Mme Goulard a également évoqué les problèmes liés aux inégalités fiscales dans les États membres de l’UE et la nécessité de disposer d’un salaire minimum dans l’UE. Une nouvelle législation sur les services numériques sera présentée, a-t-elle annoncé, en ajoutant qu’un équilibre entre liberté et sécurité devait être trouvé.« 

Ni oui, ni non…

De quoi satisfaire la gauche, la droite, les libéraux et les écologistes ? A la sortie, des rumeurs courraient sur une requête parlementaire visant à réduire l’étendue de son portefeuille. Finalement, les deux premiers groupes du Parlement européen, le PPE et le S&D, semblent s’être entendus pour demander des « clarifications supplémentaires« , évoquant dans des communiqués un « nuage de doutes » non levés, des réponses « pas assez précises » sur un portefeuille « démesuré », ou encore leur « préoccupation concernant les investigations toujours en cours en France et à l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) sur l’emploi présumé fictif d’un assistant parlementaire« .

Pas de feu vert, donc. Mais pas de feu rouge non plus. Si d’autres groupes se joignent à la requête des conservateurs et des sociaux-démocrates, c’est une nouvelle série de questions écrites qui attend désormais Mme Goulard. Avant, peut-être, une audition supplémentaire d’une heure et demie, organisée le 14 ou le 15 octobre.

Les auditions des commissaires européens par les eurodéputés (mode d’emploi)



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