À La Réunion, les Gilets jaunes abandonnent Facebook pour les civic tech

Comment s’organiser sans chef ? À la Réunion, des Gilets jaunes y parviennent grâce au soutien de Cap Collectif, une start-up de démocratie en ligne.

 

Rénover la démocratie grâce à la transparence et la consultation des citoyens… Une revendication de Gilets jaunes ? Oui, mais pas seulement. Depuis le tournant des années 2010, des initiatives se multiplient pour développer des applications et sites Internet permettant de faciliter le débat démocratique. Leur nom : les civic tech.

Employées intensivement lors de Nuit Debout, avec par exemple la plateforme de vote Loomio, ces outils sont paradoxalement absents du mouvement des Gilets jaunes qui préfère débattre sur Facebook et y organiser ses sondages. Et ce malgré les risques de manipulation de l’opinion par des faux comptes, comme l’a révélé la dernière élection présidentielle américaine.

Une exception confirme la règle : à la Réunion, près de 5 000 personnes ont choisi de s’organiser autour d’une plateforme indépendante. Conçue gratuitement par la start-up Cap Collectif, celle-ci est disponible en français et en créole et permet de faire remonter les idées de la base pour produire un programme et des revendications. En clair, chacun peut y aller de sa proposition, qui est ensuite débattue, voire retenue.

Sociocratie et holacratie

« Nous sommes un petit groupe de citoyens intéressés par la gouvernance partagée et les organisations horizontales comme la sociocratie ou l’holacratie , raconte Mathieu Fontaine, l’un de ces gilets jaunes réunionnais. Lorsque l’île s’est retrouvée bloquée, nous avons réfléchi à quelle contribution nous pouvions apporter au mouvement ».

Telle « une bouteille à la mer », ils envoient le dimanche 25 novembre au soir un courriel à Cap Collectif. Une start-up parisienne spécialiste des civic tech à qui l’on doit notamment la plateforme Parlement et Citoyens, utilisée par l’Assemblée Nationale pour ses consultations. Mais aussi les outils de budget participatif de villes comme Rennes, Montreuil ou Mulhouse.

Dès lors, tout va très vite. « Le lundi, on faisait une visioconférence avec eux. Le mardi notre plateforme était en ligne et le mercredi il y avait déjà 2 000 inscrits ! Aujourd’hui on en est à près de 5 000 personnes et 40 000 votes ont été recensés », s’enthousiasme Mathieu Fontaine.

 

 

« Les réseaux sociaux sont des outils très efficaces quand l’objectif est de mobiliser et de se faire entendre, constate Cyril Lage, co-fondateur de Cap Collectif. Mais ils sont très insuffisants dès lors qu’il s’agit de faire la synthèse de ces débats, et qu’il faut passer de l’opposition à la proposition. »

Un constat partagé par Mathieu Fontaine : « D’autres collectifs de Gilets jaunes ont préféré en rester au formulaire papier, qu’ils ont ensuite scanné et publié en ligne. C’est très bien pour la transparence mais dans les faits il est très difficile d’exploiter 300 pages de notes manuscrites. »

D’où l’importance des outils numériques, qui permettent de traiter ces nombreuses données en quelques clics. « Nous sommes actuellement en train de produire une synthèse de la consultation, qui va permettre de visualiser sous forme d’infographie les aspirations des Réunionnais », explique Mathieu Fontaine.

Diminuer la rémunération des élus

Et les premiers résultats sont surprenants. Au lieu de la baisse du prix des carburants, les Gilets jaunes interrogés ont comme priorité de « diminuer la rémunération des élus et leurs frais de fonctionnement » ! « C’est suivi de la dénonciation de la vie chère, car nous subissons des prix supérieurs de 40 % à ceux de la métropole. Puis en troisième vient le développement des transports en commun qui sont quasi inexistants. Ce qui fait qu’il y a aujourd’hui plus de voitures que d’habitants sur l’île ! », constate Mathieu Fontaine.Prochaine étape : co-construire avec l’ensemble des votants un véritable plan d’action pour porter ces revendications. « On a été surpris de l’ampleur qu’a pris cette aventure. On ne sait pas encore ce que sera la suite mais on va y réfléchir tous ensemble », assure le militant.

 

 

Cette initiative pourrait faire tâche d’huile. « Nous avons été contacté par plusieurs Gilets jaunes qui souhaitent utiliser notre plateforme », raconte Julie de Pimodan, fondatrice de Fluicity, une autre application de Civic Tech. « Ils viennent de Vierzon, Pornic, la Rochelle… et ils ont tous ce même problème de faire remonter et synthétiser l’information. Nous venons donc de lancer une page dédiée à leur mouvement sur notre application ». D’autres plateformes devraient suivre dans les prochains jours, selon nos informations, dont une conçue par le collectif Decidemos.

« La démocratie est une idée folle. Personne n’est d’accord mais on doit quand même arriver à l’intérêt général, philosophe Cyril Lage. Si on a l’espoir que puisse naitre une autre forme de démocratie, il ne faut pas répéter les erreurs du passé et se réfugier dans l’entre-soi. C’est ici que de bons outils peuvent avoir un rôle pertinent. In fine, tout dépend de leur gouvernance ».

 

Un article publié par We Demain